Date de publication | 29 décembre 2021
Il est temps de faire mon coming out.
Non pas au sens de mon orientation sexuelle qui est d’une banalité consternante [oui, bref, ce n’est pas le sujet], mais au sens de parler ouvertement des violences. Plus particulièrement, de violences sexuelles.
Et de le faire sans violence.
Ce texte s’adresse donc à qui se sent concerné par le sujet, de près ou de loin.
Pour rappel, la violence se présente sous cinq formes: économique, physique, psychologique, sexuelle, verbale. Formes bien distinctes que j’ignorais moi-même jusqu’à peu et qui, me semble-t-il, restent encore peu connues du grand public de manière générale. Or, comment sortir du labyrinthe des violences sans d’abord avoir conscience d’en être prisonnier?
Ce texte ne s’adresse pas aux spectateurs confortablement assis dans les gradins pour commenter ou critiquer celles et ceux qui luttent courageusement dans l’arène (merci Brené Brown pour l’image).
Aussi, si vous êtes sensible – et même si vous ne l’êtes pas –, je vous invite à respirer une fois profondément, puis à vous demander à vous-même :
- Ai-je envie de découvrir une telle histoire ?
- Suis-je prêt-e à me plonger dans un tel sujet ?
- Est-ce le bon moment pour moi de le faire, là tout de suite ?
Si vous n’êtes pas sûr-e, je vous encourage à remettre cette lecture à un moment opportun. C’est-à-dire un moment que vous aurez vous-même choisi.
Aussi, peut-être nous connaissons-nous. Dans quel cas, l’image que vous avez de moi risque fort de changer. Pour le meilleur ou pour le pire, je n’en sais rien. Ce que je sais, c’est qu’il ne sera pas possible de revenir en arrière.
Préambule
Parler des violences sexuelles en tant que telles ne m’intéresse pas. Il s’agit ici d’une étape nécessaire pour poser les bases sur lesquelles bâtir la suite.
La suite, c’est la résilience.
Un de ces précieux termes hélas aujourd’hui galvaudé.
Comme tous les mots-clés qui me concernent d’ailleurs, mais c’est une autre histoire.
A noter que parler de violences sexuelles n’est pas un problème pour moi.
Mon grand problème, c’est que ça ne se fait pas.
Et pour cause. Personne ne sait vraiment comment faire.
J’inclus dans le lot une partie des professionnels pourtant considérés comme experts en la matière.
Quasiment tous ceux que je suis allée trouver, pour ma part.
Heureusement, d’autres ont plus de chance que moi: merci de ne pas faire de mon cas une généralité.
Levée de rideau
J’ai vécu des violences sexuelles lorsque j’étais enfant. Lorsque j’étais adolescente. Lorsque j’étais adulte.
Dans la sphère privée, dans les relations de couple, dans la vie sociale, dans le monde professionnel.
Chez moi. Au travail. Dans la rue. Dans des lieux publics.
Pour faire un grossier résumé, ma vie a été une suite de violences perpétuées par plusieurs dizaines de personnes différentes. Professeurs, patrons, collègues, directeurs de formation, amis d’amis, petits amis, partenaires, voire d’illustres inconnus.
Moi, je pensais que c’était comme ça. Que le monde était ainsi. Que les relations humaines étaient ainsi faites.
Que la seule chose que je pouvais faire, c’était de trouver comment rester en vie au milieu de ce vaste chaos.
Si possible sans sombrer dans la folie.
Contexte à trous
Cette vision du monde parsemée de trous noirs ne venait pas de nulle part.
Le contexte familial dans lequel j’ai grandi n’a été facile pour personne.
L’un de mes parents me donnait l’impression que ma seule présence lui était insupportable. Quoi que je dise ou fasse, je me retrouvais systématiquement renvoyée à moi-même sans comprendre ni pourquoi, ni comment faire autrement. Aussi, je me retrouvais régulièrement tétanisée par d’imprévisibles accès de colère dont il semblait ne pas se souvenir une fois ceux-ci passés. Il est pour moi clair que cela ne relevait pas d’une intention délibérée, mais plutôt d’une réaction quasi-automatique. Ce schéma de comportement provoquait chez moi des réactions extrêmes qui, en retour, provoquaient chez lui encore plus de réactions extrêmes. Inextricable enfer dont personne ne semblait avoir la clé.
Quant à mon autre parent dont l’intransigeance et les colères étaient tout aussi terribles, bien qu’elles ne se manifestent pas de la même manière, sa réaction au moment de lui communiquer ce souvenir ressurgi après une douzaine d’années d’amnésie, celui d’avoir vécu des violences sexuelles lorsque j’étais une jeune enfant, a été de me dire: « Quelque chose en toi a permis ça ». Même si là aussi je me doutais que ça ne voulait pas dire ce que ça avait l’air de vouloir dire, cette réponse glaciale a provoqué chez moi un autre important trauma. Plutôt que de mettre un terme au cycle des abus, cette phrase m’a comme condamnée à y rester malgré mois pour l’éternité.
Ces deux exemples donnent une idée de l’insécurité psychologique avec laquelle j’ai dû composer, en plus du reste.
Trouver comment sortir du cachot de terreur dans lequel je me suis sentie enfermée dès mon enfance pour de multiples raisons cumulées m’a pris toute ma vie, soit plusieurs décennies.
A noter que j’aurais aussi pu ne jamais y arriver.
Aujourd’hui, 25 ans plus tard, j’ai compris combien personne n’est outillé pour « bien » réagir à ce genre d’annonce. En particulier lorsque l’annonce est faite par un proche. D’une part, apprendre qu’un proche a vécu quelque chose de terrible fait trop mal. D’autre part, ça renvoie trop fort à une insoutenable impuissance. Sans parler de la peur que cela crée ou des miroirs que cela tend.
Ceci provoque ce que j’appelle « une double peine » pour les victimes. Avoir subi un ou des traumas, devoir vivre avec les traumatismes qui en découlent ET ne pas pouvoir en parler à son entourage sous peine de le traumatiser, lui.
Voire d’essuyer les foudres en retour, car ce genre de révélation est par essence irrecevable.
Oublier pour survivre
Retour au moment de cette première agression sexuelle. Les mécaniques salvatrices de dissociation et d’amnésie s’étant activées pour ma survie psychique, celles-ci sont ensuite devenues chroniques. Avec pour conséquence de me construire non pas à l’endroit, mais à l’envers. Quelque part, c’est comme si mes références au bonheur et au malheur avaient été inversées.
Ce dont je suis longtemps restées inconsciente.
Alors vivre pendant plus de 35 ans une ou plusieurs fois des attouchements, des agressions physiques et verbales, du harcèlement scolaire, du harcèlement de rue, du harcèlement sexuel au travail, du harcèlement moral, des violences conjugales, du chantage, des tortures physiques et psychiques, des viols ponctuels ou récurrents, des coups, des menaces de mort, de la séquestration, de l’impuissance policière, des failles du système judicaire, des années à me planquer – tout en bâtissant ma vie d’indépendante – puis à me reconstruire, sans trouver aucune aide valable ni personne qui me parle de syndrome de stress post-traumatique complexe jusqu’à ce que je le découvre moi-même en 2015, n’a pas été une mince affaire.
Pourtant, il me semble à postériori qu’il y avait quelques indices…
Aussi, le jour où j’ai fait une formation en psychopathologie, elle m’a semblé retracer l’histoire de mes différentes relations de couple. En gros, j’avais appris le DSM [Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux et des troubles psychiatriques] de manière empirique, encore une fois sans le savoir.
Il était temps d’en sortir.
De la survie à la vie
Puis j’ai eu la chance improbable de commencer un suivi avec celui qui, je l’ignorais encore, avait la clé pour m’aider à sortir de ce labyrinthe infernal et que je baptiserais volontiers L’homme qui murmurait à l’oreille du système nerveux.
Ce n’est qu’après l’avoir consulté pendant quelques années que j’ai réalisé qu’il ne savait rien de ce que j’avais vécu. Et si je dressais une liste de mes traumas pour la lui communiquer?
Mais… concrètement, qu’étais-je censée considérer comme un traumatisme?
Après avoir mené une grande enquête tant pour le définir que pour en recenser un maximum d’exemples malgré ma mémoire défaillante, j’ai pris conscience que je n’avais pas passé une seule année sans un trauma majeur depuis ma petite enfance.
Ah.
Si j’étais encore là, c’est donc que j’avais des ressources m’a dit mon thérapeute avant de m’inviter à en dresser là aussi la liste, réponse lumineuse à la première liste sombre que je lui avais amenée comme s’il s’agissait d’une simple liste de courses. J’avais imaginé l’inverse: étonnamment, identifier mes ressources a été l’un des exercices les plus longs, difficiles et terribles que j’ai eu à faire. Et l’un des plus réparateurs, aussi.
Pas si absurde, à l’arrivée: les traumas que j’avaient vécus m’étaient familiers alors que mes ressources m’étaient totalement inconnues.
Parfois, des gens me disent d’un air blasé « Oui mais toi, tu es tellement positive… » en faisant une espèce de moue avant de soupirer, comme si j’avais gagné du positivisme éternel au grand Lotto de la vie.
Alors non, je ne suis pas positive.
Je suis une survivante.
Ce qui est très différent.
Sortir du silence
Chaque jour passé en-dehors de cet interminable enfer est un miracle pour moi.
Chaque jour de vie après tant d’années de survie est une occasion de me comporter, avec moi-même comme avec les autres, de la manière qui me rapproche de plus en plus de ce qui me semble avoir de la valeur, comme le fait d’avoir le courage de s’exprimer.
Histoire de donner de la valeur à chaque journée.
Certes, je m’extasiais déjà devant la beauté invisible de la Vie étant petite. Ce qui m’a sauvée. Et qui continue de le faire parce que, il faut le dire, la vie peut quand même être vachement moche.
Vivement qu’on nous le dise dès la maternelle.
Alors, jusqu’à ce que ce soit le cas, je trouve essentiel de contribuer à ma mesure à sortir de ce monde de non-dits dans lequel nous vivons.
Le monde a besoin de sortir du silence.
Des silences.
Des tabous.
Des non-dits.
Ils sont à mon sens la source de tous les maux.
Tous.
Or, les mots sont l’antidote des maux.
Ce qui ne signifie pas dire n’importe quoi.
Ni n’importe comment.
Ni à n’importe qui.
Ni n’importe quand.
Surtout, ça ne veut pas dire devoir parler.
Et maintenant?
Soyons clairs, je prêche pour ma propre paroisse dans le sens que le métier que j’exerce repose sur ce simple principe: « Nous ne pouvons agir que sur ce dont nous sommes conscients ».
Amener de la conscience, de la clarté, nommer les choses, pouvoir les [re]connaître: voilà ce qui me semble essentiel.
Un luxe que peu de gens peuvent se permettre, dans la réalité de la vie de tous les jours.
Nos sociétés ultra connectées manquent du plus important en vivant dans l’illusion d’avoir accès à tout, tout le temps [et en particulier à ce qu’ils n’ont pas, créant des manques sans fin]: le temps, précisément.
Le temps de prendre du recul. Le temps de l’introspection. Le temps de la remise en question. Le temps de se poser d’importantes questions.
Le temps d’apprendre ce que les générations passées n’ont pas appris, à commencer par la notion de consentement. Le temps nécessaire pour trier nos héritages afin de cesser de reproduire les mêmes mécaniques, de garder les mêmes sujets tabous [bien qu’ils changent de costumes d’époque en époque] et les mêmes non-dits, de reprendre les mêmes stratégies destructrices qui ont pour but de maintenir en place la dictature du silence.
J’espère avoir bientôt les moyens [l’énergie, le temps et les finances] pour donner forme à ma contribution. En trempant ma plume dans mon vécu comme dans les milliers d’heures d’accompagnements d’adultes, d’adolescents et de pré-adolescents qui ne sont probablement pas venus me voir par hasard, j’aimerais écrire un livre qui sorte des schémas ordinaires.
Celui-ci sera composé de plusieurs parties qui pourront être consultées indépendamment les unes des autres selon les envies, les besoins et les rythmes de chacun. 1. Une partie autobiographique pour mettre des mots sur ce qui n’est quasiment jamais nommé, de manière saine et informative. 2. Une autre qui donnera des clés de lecture et de compréhension de manière très accessible. 3. Une troisième avec des propositions d’action, des modèles d’application desquels s’inpirer, des modes d’emploi qui proposent des pistes sans rien imposer.
Notes importantes:
- Ma démarche de rendre public ce récit suit ma reconstruction, elle ne la précède pas ni n’en est le moyen. C’est parce j’ai trouvé la porte de sortie, entre autres après plusieurs suivis thérapeutiques, que je peux maintenant me mettre à communiquer ouvertement. Bien que j’aurais préféré ne pas parler de moi, j’ai compris au fil du temps qu’il n’y avait aucune alternative possible. Voilà l’un de ces nombreux paradoxes humains: « C’est par le singulier, par l’intime, qu’on accède, pas à pas, à l’universel et à l’autre » comme l’a écrit Charles Juliet.
- Pointer du doigt quelqu’un ou quelque chose n’a pour moi aucun intérêt. J’aborde ce projet de livre de manière constructive, novatrice, avec joie et une certaine légèreté, ce qui est quand même assez cocasse étant donné les thématiques dont il y sera question.
- Enfin, ce n’est pas mon métier de recevoir des gens qui souhaitent témoigner de leur vécu en lien avec les violences sexuelles. Je ne suis pas non plus en mesure de recevoir des messages en lien avec cet article, et encore moins d’y répondre: étant seule à conduire mon business, je manque déjà de temps chaque jour. Si vous avez besoin d’une recommandation fiable, je vous invite à prendre rendez-vous avec ma précieuse collègue Arianne Torné, psychologue FSP. La contacter en mentionnant cet article suffira, pas besoin longs discours.
Rendez-vous dans un autre monde ou dans une autre vie
Une autre chance, une seconde chance et tant pis pour celle-ci
Et puis rire à périr, mais rire aujourd’hui
Rendez-vous quelque part entre ailleurs et l’infini
Paroles: Dans un autre monde, Céline Dion | Paroliers: Jean-Jacques Goldman / Eric Benzi
Ce sujet vous parle? Vous aimeriez amener de la clarté dans vos questions sensibles ou délicates? Je vous accompagne volontiers dans cette démarche importante, à distance ou à mon cabinet de Nyon, Suisse.